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Interview Jeanne Faivre D'Arcier - Retranscription - partie 1

Cette interview a été réalisée par Arcantane le 18 janvier 2012.

 

Arcantane : Tout d'abord pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Jeanne Faivre D’Arcier : Je m’appelle Jeanne Faivre D’Arcier. J’ai écrit 2 premiers romans sur les vampires dans les années 90. Le premier s’appelait Rouge Flamenco. C’était l’histoire d’une danseuse de flamenco vampire. Le livre m’a été un peu inspiré par le thème de Carmen et de la femme fatale. En même temps, l’héroïne s’appelait Carmilla , c'est un petit clin d’œil au roman Carmilla de Sheridan le Fanu, un auteur irlandais du XIXe siècle.

Le deuxième livre s’appelait La déesse écarlate. Il s'agit plus d'une variation sur les grands mythes hindouistes, en particulier sur la déesse Kali qui est la déesse de la mort et des charniers dans la littérature et l’iconographie hindouiste. Le personnage de Mara est la reine des vampires indiens.

Ensuite, j’ai écrit autre chose, car j’en avais assez des vampires. J’avais passé 5 ans à écrire sur ce thème, je voulais passer à autre chose. J’ai écrit un roman historique, puis 5 ou 6 romans noirs avant de revenir à mes premières amours avec Le dernier vampire.

Arc : Vous avez débuté, il y a quelques années, un cycle sur les vampires sous le nom de la trilogie en rouge. Deux livres sont sortis chez Pocket : Rouge Flamenco (1993) et La Déesse écarlate (1998).
Pourquoi avoir choisi le thème des vampires ? Quelles ont été vos inspirations ? Avez-vous lu des livres ou vu des films qui vous ont inspirée ?

JFA : C’est plus en lien avec mon histoire personnelle. Comme beaucoup d’auteurs, j’ai commencé par un livre autobiographique dans les années 80. Et ce livre a rencontré un certain succès d’estime (NDR : La ceinture publié chez Flammarion). Après, tout ce que j’ai écrit était à mi-chemin entre l’autofiction et le roman noir. Cela n’a pas du tout marché et cela n’a pas été publié. J’ai donc arrêté d’écrire. Ce qui m’a donné envie de revenir à la littérature, ça a été d’une part la lecture des grands maîtres de la terreur. Je parle de Dan Simmons, de Stephen King, de Peter Staub, de Graham Masterton, de Dean Koontz par exemple, et surtout d’Anne Rice. La séquence « échec littéraire » avait été extrêmement douloureuse et j’étais très mal dans ma peau à ce moment-là ; j’avais donc complètement refermé la parenthèse. Je m’étais dit : « Je n’écris plus. »

Comme tous les drogués, tous les alcooliques, on finit toujours par replonger. C’est Anne Rice qui m’a fait replonger ; là, j’ai eu un déclic. Je me suis dit : « Ah oui ! Si effectivement le vampire peut être une sorte de cow-boy, de héros solitaire dérivant à travers le temps et l’espace et si on peut en faire un héros positif, alors là, cela peut être intéressant. » Ce que j’ai vu dans le fait d’écrire sur les vampires, c’était la palette très large de possibilités que cela offrait. On peut travailler sur des séquences temporelles complètement différentes. On peut travailler sur des zones géographiques et techniques différentes. On peut mettre en scène des mythes et j’ai trouvé que c’était extrêmement riche. C’est ça qui m’a donné envie de réécrire.

Arc : Pour les deux premiers tomes parus chez Pocket, vous avez choisi une héroïne différente pour chaque tome. Pourquoi ? Pourquoi ne pas avoir continué sur Carmilla, héroïne de Rouge Flamenco ?

JFA : D’une part parce que je ne suis pas une grande lectrice de série, du moins je ne l’étais pas. Ce qui me gênait dans l'approche « série », c’est qu’on termine un livre et on est obligé d’attendre que l’auteur ait écrit le suivant pour le lire, ce qui est assez frustrant. Du moins, je le voyais comme ça. Par ailleurs, j’avais peur de m’ennuyer avec le même personnage. Souvent, dans les séries, il y a une espèce d’affadissement qui se produit. Le premier volume est bon, le deuxième est pas mal, le troisième l’est beaucoup moins ; il y a une espèce d’appauvrissement de l’univers qui risque de se produire. Tout dépend de l’auteur, mais ça peut se produire comme ça. On est beaucoup dans la répétition et je trouve que cela peut être ennuyeux pour le lecteur, et c’est surtout très ennuyeux pour l’auteur. C’est comme ça que je le perçois.

Le premier livre était consacré à Carmilla. Le deuxième à Mara qui apparaît un peu en guest star dans le premier volume mais je ne voulais pas continuer avec la même héroïne. J’ai un peu revu mon point de vue parce que j’ai lu des séries historiques plus récemment, en particulier celle de Jean-François Parot qui a été mis en scène à la télévision avec son personnage de policier à la fin de l’Ancien Régime. J’ai trouvé ça génial. Nicolas Le Floch. Je ne sais pas si vous l’avez lu ou vu ; c’est assez formidable. J'ai lu encore plus récemment les livres de Jean d'Aillon qui est un professeur d’université qui vit dans le sud de la France et qui a beaucoup écrit sur le XVIIe siècle et en particulier sur les guerres de religion. J’ai enchaîné les livres, je les ai tous lus et finalement je me suis dit : « C’est assez génial !». Si c’est bien, cela peut être intéressant d’avoir une série. Encore faut-il être à la hauteur de l’ambition, c’est-à-dire ne pas lasser le lecteur, ne pas se lasser soi-même. Donc pourquoi pas ? Un jour…

Arc : Quand vous commencez à écrire des livres, savez-vous déjà la fin ou cela vient-il au fil de l'écriture ?

JFA : Cela ne vient pas au fil de l’écriture car je suis assez maniaque et je fais des scénarios qui sont très fouillés. Je commence par faire une bible des personnages avec leurs caractéristiques physiques, leurs personnalités, leurs passés, leurs histoires, leurs métiers. Après, je vois comment ces personnages vont interagir entre eux ; ça me donne un fil conducteur pour le récit, et après je fais un déroulé chapitre par chapitre.

Cela me prend quand même pas mal de temps, plusieurs mois, et après j’écris. En général, je ne suis pas du tout ma trame. Ça bouge. Les personnages n’évoluent pas comme je l’avais pensé. Quand ils s’incarnent, ils n’ont pas les mêmes réactions que celles que j’avais imaginées auparavant. Je suis amenée à revoir mon intrigue mais j’ai deux rails qui me sécurisent beaucoup pour écrire. C’est très important quand on écrit de la littérature fantastique d’avoir cette trame très poussée et très solide avant, sinon on part dans tous les sens. J’ai déjà tendance à partir dans pas mal de directions avec l'écriture de livres qui sont assez baroques, mais je pense que, si je n’avais pas la trame, je ne sais pas où j’irais.

Idem pour le roman noir. Dans un roman noir, il faut que l’intrigue soit très soutenue et bien construite et que, jusqu’à la dernière minute, on ne sache pas qui est le criminel, le meurtrier.

Pour ces deux raisons-là, je fais effectivement des déroulés de récits très articulés, très charpentés puisque cela correspond aussi à mon tempérament. J’aime bien « baliser » ce que je fais de manière très précise avant de commencer.

Arc : Vos fans (dont moi)…

JFA : Merci (Grand sourire)

Arc : … attendent depuis plusieurs années avec impatience la suite de La Trilogie en rouge. Le Dernier des vampires, qui est paru aux Éditions Bragelonne, reprend les aventures des vampires. Peut-il être considéré comme le troisième tome de cette trilogie ou comme une sorte de spin-off ? Est-ce que c’est la suite du premier ? On se pose des questions.

JFA : Cela n’a rien à voir et c’était volontaire en fait. Je voulais avoir une approche qui soit radicalement différente des 2 premiers livres qui sont très « exotiques ». Cela se déroule dans des pays lointains, on a des personnages de femmes vampires. Elles sont inscrites dans des territoires qui sont assez flamboyants : la danse, le flamenco pour la première ; les mythes hindouistes pour la deuxième. Je voulais une approche radicalement différente, c’est pour cela que j’ai mis autant de temps d’ailleurs à passer du deuxième livre au troisième car je ne voyais pas comment j’allais aborder le sujet et je ne voulais pas être dans la répétition. La répétition est quelque chose dont j’ai horreur, qui m’ennuie et c’est un risque d’appauvrissement que je voulais éviter. J’ai donc écrit totalement autre chose car j’en avais marre des vampires. J’en avais marre des morsures. J’en avais marre des baisers. J’en avais marre de tout ça !

Je suis passée aux romans noirs et j’en ai écrit un certain nombre, avec un certain succès. Ça marche d’ailleurs pas mal, en particulier en province dans la région bordelaise où je vis.

À un moment, j'ai trouvé un axe, je me suis dit : « D’abord, ce sera un homme . C’est un vampire, ce n’est pas une femme vampire. » Puis, il y a eu la volonté de m’inscrire dans la Révolution française.  J'avais lu pas mal de choses sur la Révolution française et j’avais écrit une nouvelle qui n’a pas été publiée qui s’appelait Alice au pays des droits de l’homme (qui était une variation d’Alice aux pays des merveilles). J’avais été amenée à lire sur cette période. Je me suis dit : « Mais c’est génial ! ». Il m’a d’abord fallu beaucoup de temps pour comprendre comment se séquençait la Révolution française. Il y a des périodes très courtes qui se succèdent. Il y a la période de l'assemblée constituante, les Girondins, les Montagnards et la Terreur, la réaction thermidorienne qui est une réaction de terreur blanche, il y a le Directoire, le Consulat. J’ai beaucoup lu pour pouvoir m’y retrouver et je me suis rendu compte qu’il y avait effectivement une littérature, une filmographie abondante sur l’ensemble de ces périodes, en particulier sur la Terreur et les chouans, la chute de la royauté, la fuite à Varennes, mais, qu’en revanche, il y avait un trou noir : les Girondins.

Les Girondins m’intéressaient beaucoup parce que je vis une partie de l’année dans le Bordelais. J’avais donc un tropisme fort du côté de la Gironde. Pour moi, ces personnages du moment Girondins représentent un peu l’âme de la résistance à la centralisation politique et au jacobinisme qui marquent la vie politique française depuis la révolution.

C’est l’esprit provincial, dans le bon sens du terme. J’avais aussi envie d’écrire sur ces personnages parce qu’il n’y avait rien eu du point de vue littéraire depuis (Alphonse de) Lamartine. Les Girondins de Lamartine a été un best-seller quand il est sorti. Et puis il n’y a plus rien eu. Je me suis dit : « Ça au moins, c’est original. ».

Mon personnage va être un des représentants obscurs ; il ne fallait pas trop le mettre en valeur sinon on risquait de se confronter à la réalité des Vergniaud, Brissot, des grands personnages de La Gironde et cela devenait très compliqué à gérer, mais il allait appartenir au mouvement Girondin. Ça me permettait aussi de garder un lien avec le Sud Ouest et le Bordelais qui est ma terre d’élection.

’histoire des Girondins est incroyablement tragique. On a l’ascension, une période de gloire brève et fulgurante et on a une chute brutale car ils sont éliminés physiquement et politiquement par les Montagnards ; et en particulier par Robespierre. C’est incroyablement tragique, c’est une pièce de Racine. Du point de vue littéraire, c’était très motivant. Voilà comment s’est faite la jeunesse de ce récit mais en même temps ce n’est pas qu’un roman historique. Je ne suis pas historienne et je ne voulais pas trop m’encombrer avec la dimension historique. L’histoire est à la fois magique mais aussi très limitante car on doit respecter la réalité. C’est ennuyeux pour moi du moins.

J’ai donc gardé le fil conducteur avec le roman noir qui m’a beaucoup inspiré du point de vue littéraire depuis une dizaine d’années. Je me suis dit : « Ce livre va commencer comme un roman noir extrêmement classique. » Une équipe de la brigade criminelle au Quai des Orfèvres va être confrontée à un tueur en série particulier puisqu’il ne tue que des scientifiques de haut niveau, des cancérologues et des hématologues ; il dévaste les laboratoires de l’Inserm. Sauf qu'on va s'apercevoir que ce meurtrier est extrêmement particulier puisqu’il ne laisse aucune trace, pas de sang sur les scènes de crime, aucune trace physique et tous les morts portent une blessure à la gorge. Ils sont égorgés. Dans les enquêteurs, il y en a un un peu plus frappadingue que les autres qui est un lecteur de littérature fantastique, qui a vu tous les films de la Hammer et qui commence à parler de cas de vampirisme. Petit à petit, on vient à parler de vampires. Les autres lui disent qu’il est vraiment cinglé car les vampires n’existent pas. Ils veulent rester dans une approche très cartésienne de leur métier car cela les sécurise. Puis finalement, petit à petit, l’hypothèse d’un meurtrier vampire se confirme, mais on met très longtemps à basculer. Une série de faits va leur sauter à la figure, si j’ose dire, et va les incliner à penser qu’ils ont affaire à un vampire : le personnage dont j’ai parlé préalablement, l’homme politique de la Gironde, l’avocat bordelais qui fait une carrière politique dans le mouvement Girondin et qui est élu à l’Assemblée législative à la convention à Paris.

Voilà comment ça s’est fait.

 

Vers la deuxième partie